Ce site a pour but de servir de support à l'enseignement dispensé en L1 SES à
l'Université Paris Diderot, par Christophe DARMANGEAT.
Il ne remplace en aucune manière le cours lui-même, ni la lecture attentive de certains ouvrages, dont ceux conseillés en bibliographie. Selon la formule consacrée, les propos qui y figurent n'engagent que la responsabilité de leur auteur. |
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Techniques de la dissertation en
économie
1. Une dissertation est une
discussion
Disserter sur une question, c'est mener une discussion pertinente,
organisée et argumentée sur cette question.
Votre dissertation doit donc vous
permettre de montrer que vous savez comprendre un problème
et mobiliser les connaissances nécessaires pour y
répondre.
Comprendre
un problème, c'est tout à la fois :
Mobiliser
les connaissances nécessaires suppose :
Tout cela peut
apparaître comme une
enfilade de banalités, et je dois le reconnaître,
rien de
ce qui précède ne déborde
d'originalité.
Alors, quitte à ajouter une évidence à
cette
série déjà longue, j'insisterai
également
sur le fait que la première qualité d'une
dissertation
est d'être rédigée dans une langue
correcte.
On voit beaucoup trop de copies
où la
maîtrise de la langue française est
défaillante : incorrections grammaticales, fautes
d'orthographe, barbarismes, mots employés à
contresens,
etc. Tout cela constitue un premier handicap... souvent fatal. Les
tournures incorrectes n'empêchent pas seulement le correcteur
de
vous comprendre, ou de comprendre ce que vous avez voulu dire ; elles
vous empêchent également d'être
rigoureux et
précis dans vos raisonnements et dans votre
compréhension
des raisonnements des autres. Entendons-nous bien : personne ne vous
demande d'écrire comme Stendhal ou Proust. La dissertation
n'est
pas un exercice de beau style. Mais la correction de la langue, le
choix des mots et de la syntaxe justes sont
considérés
comme un préalable, sans lequel il est impossible de juger
de la
qualité des connaissances et de la réflexion.
Dans une conversation courante,
on peut parfois employer un mot pour un autre. S'ils sont voisins, cela
ne prête que rarement à conséquence.
Mais en sciences — fut-ce en sciences économiques — toute
imprécision, toute négligence, peut rendre un
énoncé faux ou absurde. Si je dis « le
profit baisse », par exemple, c'est une idée
très différente que de dire « le taux de
profit baisse ». Et c'est encore tout autre chose lorsque
j'affirme que « le taux
de profit augmente moins vite ». Dans un raisonnement,
employer une de ces expressions à la place de l'autre, c'est
être certain de proférer une
énormité, et de transformer une
vérité en erreur, ou en proposition absurde.
Ainsi, il est impossible d'être rigoureux dans ses
idées quand on n'est pas rigoureux sur la manière
de les formuler. Et en économie, la frontière
entre une formulation imprécise et une formulation
franchement fausse est très rapidement franchie.
Je ne m'étends pas
davantage sur ce thème, mais j'espère vous en
avoir fait comprendre son importance. Revenons-en donc à nos
moutons.
2. La problématique
et l'introduction
La compréhension du
sujet, dont je parlais tout à l'heure, passe par ce qu'on
appelle traditionnellement l'analyse de
la problématique.
Cette fameuse
problématique, c'est la question qui se cache
(peut-être) derrière celle qui vous a
été posée, et qui permet d'y
répondre.
On tombe parfois sur des sujets
où la problématique est transparente, dans la mesure où la
formulation de départ ne cache aucune autre question que celle qu'elle pose.
Mais parfois, il y a un vrai travail de reformulation à
effectuer pour en arriver au vrai problème. Prenons deux
exemples.
Sujet n°1 :
un des sujets des années passées était
: « L'intervention économique de
l'État est-elle nécessaire ? »
Toute personne ayant un minimum de connaissances en économie
reconnaît immédiatement là un
débat séculaire, qui a impliqué tous
les courants de pensée sans exception. Il s'agit de celui
qui a opposé les partisans d'une telle intervention
à ses adversaires, ces derniers étant convaincus
de la capacité des marchés à se
réguler eux-mêmes. Ici, la
problématique est inscrite dans le sujet de
manière transparente : qu'on prenne le problème
par un bout (l'intervention de l'État est
nécessaire, ou elle ne l'est pas) ou qu'on le prenne par
l'autre (les marchés ne sont pas capables de se
réguler seuls, ou ils le
sont), il s'agit bien évidemment de la même
question. Voilà donc un sujet où l'analyse de la
problématique ne pose guère de
difficultés, et où elle peut être
rapidement menée.
Sujet n°2 :
imaginons à présent une question comme
« Que
pensez-vous de la citation suivante de Joseph Stiglitz : 'Si la main
invisible est si souvent invisible, c'est parce que la plupart du
temps, elle n'est pas là' ».
Ici, la problématique est moins immédiate. Il
faut déterminer ce qu'est cette « main invisible ». On peut
(et on doit) aussi chercher qui est Joseph Stiglitz. Ceci nous
amène au fait que la « main invisible », est une des plus
célèbres métaphores de l'histoire
économique ; elle a été
employée par Adam Smith, pour illustrer la
capacité des marchés à se
réguler, comme s'il existait une volonté
consciente qui mettait de l'ordre dans un système (le
marché) où ne s'exerce pourtant aucune
autorité sur les agents économiques. La boutade
de Stiglitz sous-entend donc que cette capacité
d'auto-régulation des marchés est beaucoup moins
réelle que les partisans de Smith (les libéraux)
ne le pensent. Cela n'étonnera personne, lorsqu'on saura que
Stiglitz est connu pour ses opinions keynésiennes. En fait,
ce sujet revient donc à savoir si les marchés
sont capables ou non de s'auto-réguler... ce qui
veut dire que derrière une formulation très
différente, la problématique est exactement la
même que celle du sujet n°1... Mais là,
incontestablement, la question de départ appelait davantage
d'éclaircissements avant de pouvoir être
traitée convenablement.
L'analyse de la
problématique doit s'effectuer dans l'introduction, qui doit tout à la fois :
Une difficulté
traditionnelle de l'introduction est la phrase d'accroche. Bien
souvent, en panne d'inspiration, on est tenté d'aller chercher
une fausse évidence éternelle, sur le mode du
trop connu : « de tous temps, les hommes se sont
interrogés sur la place de l'État dans
l'économie...» J'exagère
à peine. En réalité, une introduction
est d'autant plus réussie qu'elle part d'un
problème précis, et si possible actuel. On
tentera donc au maximum d'accrocher le sujet à un fait,
à un débat ou à une
déclaration récente, qui mettra la suite de la
dissertation en valeur, en montrant que des discussions vieilles de
cent ou deux cents ans sont parfois bien utiles pour
éclairer les enjeux contemporains. Cela dit, l'expérience montre
qu'une bonne abstention vaut mieux qu'une mauvaise idée, et que faute d'une accroche
évidente et en tout cas pertinente, mieux vaut attaquer le sujet bille en tête qu'aller chercher
une mise en bouche capillotractée.
Pour terminer, une astuce
technique : beaucoup de gens n'hésitent pas à
réfléchir dès le départ
à la problématique et au plan (c'est hautement
préférable !) mais ne rédigent
l'introduction qu'en dernier, après avoir terminé
le développement et la conclusion. Cette manière
de procéder a des avantages ; ne serait-ce que celui de
savoir avec certitude où on doit mettre les pieds, et par
exemple d'annoncer un plan dont on est certain qu'il sera le bon.
Bien que ce ne soit pas recommandé, il arrive qu'on change de plan dans l'urgence,
en cours de route. Dans ce cas, écrire l'introduction en dernier permet
d'éviter d'avoir à la refaire au dernier moment.
3. Le développement
Une fois la
problématique cernée, il faut la traiter. On
attend de vous que vous soyez capables de mobiliser l'ensemble des
connaissances nécessaires, de les restituer convenablement
et de les organiser de manière construite.
Cela veut donc dire que sans les conaissances du cours, vous ne pouvez même pas espérer
faire illusion : la dissertation a entre autres pour but de vérifier que ces connaissances
sont acquises, et on attend que vous en fassiez la démonstration.
Mais il est essentiel de comprendre qu'une dissertation n'est pas un simple catalogue
d'extraits du cours : elle doit constituer un véritable
raisonnement. Soyons clairs : personne ne vous demande de
présenter un raisonnement original, en émettant
des idées novatrices. Si vous parvenez
à exposer correctement les idées des autres, ce
ne sera déjà pas si mal (et pour tout dire, cela peut
même être excellent). Cela ne veut pas
dire que vous n'avez pas le droit d'avoir un point de vue, ni de le
faire valoir. Simplement, ce point de vue — restons modestes — doit
rendre à César ce qui est à
César, et vos idées personnelles à
ceux qui les ont formulées les premiers et qui vous ont
ainsi permis de les avoir.
Votre point de vue apparaîtra donc dans la manière
d'ordonner la présentation des différentes
thèses, et de donner le dernier mot à l'une
plutôt qu'à l'autre. On ne vous
pénalisera jamais - en principe - pour avoir
donné raison à tel courant de pensée
plutôt que tel autre. En revanche, quelles que soient vos
opinions, vous devez absolument présenter
fidèlement tous les raisonnements (même ceux avec
lesquels vous n'êtes pas d'accord), et ne réfuter
un raisonnement que par un autre raisonnement (s'appuyant au besoin sur
des exemples).
Du point de vue des connaissances
à mobiliser, il s'agit d'éviter deux
écueils symétriques :
Une question traditionnelle consiste à se demander de
combien de parties le plan doit-il être formé. La réponse classique est catégorique :
deux ou trois.
Moins, ce serait une seule partie. Et lorsqu'il n'y a qu'un seul point de vue, ce n'est plus une
discussion ! Il faut donc que vous présentiez, sur un même sujet, au moins deux points de vue. S'ils ne sont pas forcément opposés,
ils sont au moins complémentaires. Et pour cela, il faut au moins deux parties.
Passons au travers inverse, un devoir qui comporterait quatre parties ou plus. Là, votre devoir
se disperserait — d'autant que le but est rarement d'écrire des dizaines de pages. Ce qui est donc recommandé
pour un mémoire ou un livre n'est pas une bonne idée pour un devoir de quelques pages.
Nous savons donc que le devoir doit s'articuler en deux ou trois parties. Certes, mais lesquelles ?
On peut adopter les structures de plans classiques (pour ne pas dire bateau) : en deux parties, ce sera :
« Oui, Non », ou « Oui, Mais ». En trois parties, le fameux « Thèse,
antithèse, synthèse ». Néanmoins, on peut aussi opter pour un plan chronologique,
ou pour un plan thématique (chacune des parties traitant un aspect différent du sujet).
J'ai tendance à recommander des plans qui favorisent l'argumentation, et qui
empêchent le développement de tourner au catalogue. C'est-à-dire d'éviter dans la mesure
du possible un plan où chaque partie représente un courant de pensée, pour préférer au
contraire un plan thématique, où chacune des différentes parties permettra d'aborder les points de vue de
différents courants.
Une fois la problématique clairement cernée, une bonne
stratégie pour construire le plan peut être :
Cette méthode n'est certainement pas une panacée, mais appliquée
consciencieusement, elle évite la plupart des erreurs les plus grossières de la construction des plans.
4. La conclusion
Si les étapes précédentes ont été
correctement menées à bien, la conclusion est la partie la plus facile de la dissertation. Son rôle est de :
C'est surtout ce dernier point qui peut poser problème — il constitue en quelque sorte la
réplique inversée de la première phrase de l'introduction. Rien ne sert de se torturer pour imaginer
à grand peine ce que vous devez dire ; si vous avez correctement traité le sujet, vous devriez sans trop de
difficulté voir comment terminer, quelles sont les questions plus larges que soulève la problématique et que
vous n'avez pas pu traiter. Là encore, faute d'idées, plutôt qu'écrire une phrase bateau ou qui tombera comme un cheveu
dans la soupe, préférez ne rien mettre.
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