L'équilibre néoclassique
Il est bien évident qu'on ne saurait présenter l'ensemble du courant
néoclassique en quelques paragraphes, et que le texte qui suit n'a pas
cette ambition. Il tente simplement de souligner quelques points qui me
paraissent essentiels pour caractériser la démarche et les conclusions
de cette filiation théorique. Il faut donc considérer ces points comme
une introduction à l'étude des raisonnements néoclassiques, et non
comme ces raisonnements eux-mêmes.
1. Contexte et dénominations
Chose étonnante, le courant néoclassique est né des travaux
menés indépendamment et quasiment simultanément par Stanley
Jevons (1871), Carl Menger (1871) et Léon Walras (1873). Une telle concordance, et un tel succès
(le paradigme néoclassique deviendra très rapidement dominant)
s'explique en premier lieu par le contexte idéologique et politique.
Les années 1860 sont celles d'un essor du mouvement ouvrier politique
inspiré notamment par les idées de Marx. Ce mouvement ouvrier conteste
dans les faits, et pas seulement dans l'idéologie, l'ordre
capitaliste. Or la vieille théorie de la valeur-travail élaborée par
Smith et par Ricardo constituait une bien mauvaise ligne de défense
pour les partisans de l'ordre établi, dans la mesure où elle
conduisait à affirmer la réalité de l'exploitation des travailleurs et où elle
fournissait une base théorique à la lutte des classes.
Par bien des aspects, et aussi paradoxal que cela puisse sembler,
le réquisitoire de Marx contre le capitalisme
s'inscrivait dans les prolongements théoriques du plaidoyer de Ricardo
en faveur de celui-ci. Aussi, pour contrer Marx,
fallait-il également rejeter Ricardo. Le courant néoclassique va
ainsi s'attacher à démontrer tout à la fois la capacité du marché
(auquel est assimilée l'économie capitaliste) à obtenir des résultats optimum, et le
caractère non exploiteur, équitable, de cette économie. S'il se situe
dans la continuité des classiques sur les thèmes du libéralisme et
du laisser-faire, il constitue donc en revanche en rupture complète
vis-à-vis de Smith ou Ricardo, en particulier sur les théories de la valeur.
Il
serait exagéré de présenter la théorie néoclassique de la valeur
comme une innovation complète. Dès le début du siècle, et face aux
thèses de la valeur-travail, bien des économistes avaient proposé une théorie alternative, fondée
sur les notions d'utilité et de
services productifs (citons notamment J.-B. Say
et F. Bastiat). La nouveauté qu'apportent les néoclassiques sera, tout en
repartant de cette base, de proposer une formalisation beaucoup plus
poussée, cherchant à donner à leurs raisonnements une rigueur toute
mathématique.
La théorie néoclassique est également souvent qualifiée de
marginaliste, du fait qu'elle généralise une méthode de raisonnement
dite « à la marge ». Bien sûr, cette dénomination est consacrée par
l'usage, et ce n'est pas ici qu'on va la remettre en cause. Elle
s'appuie sur un fait indéniable, les néoclassiques étant extrêmement
friands de ce type de raisonnements. Cependant, il faut bien
comprendre que cette caractérisation s'attache à la forme bien plus
qu'au fond. Le raisonnement « à la marge » n'est pas, par lui-même,
néoclassique, ricardien ou marxiste. Ricardo, sur la rente foncière,
raisonne de manière purement marginaliste (« Si l'on met en culture une
unité supplémentaire de terre... »), sans que ses théories ne
rejoignent pour autant celles des néoclassiques. Si ceux-ci
peuvent employer l'approche marginaliste dans la presque totalité des
situations sur lesquelles ils raisonnent, c'est en raison de leurs hypothèses et de leur
problématique. Et ces hypothèses, et cette problématique, les
caractérisent bien davantage que la forme du raisonnement qu'ils
emploient le plus volontiers.
On a également coutume de dire que le courant néoclassique se
caractérise par la place qu'il accorde à la micro-économie. Là aussi,
il y a du vrai, mais seulement dans une certaine mesure. En réalité,
toutes les théories économiques, sans exception, se fondent à un degré
ou à un autre sur des hypothèses portant sur le comportement des agents -
quels que soient les agents que ces théories reconnaissent comme
pertinents. Même des analyses particulièrement orientées vers la
macro-économie, comme celles de Marx ou de Keynes, vont en réalité de pair avec
certaines hypothèses micro-économiques. De ce point de vue, la théorie
néoclassique n'est donc pas particulièrement originale. En revanche,
là où le courant néoclassique se distingue, c'est sans doute sur la
place et l'importance qu'il accorde aux raisonnements
micro-économiques. Lui seul en effet ambitionne de fonder l'ensemble
de son édifice théorique sur des postulats concernant des individus
isolés (c'est ce qu'on appelle l'individualisme méthodologique). Et
lui seul, sur cet aspect micro-économique, a poussé le formalisme
aussi loin.
Néoclassique, marginaliste, micro-économique : toutes ces
caractérisations s'appliquent donc à ce courant, dans certaines
limites qu'il convient toutefois de ne pas perdre de vue.
Il faut néanmoins souligner que l'ensemble néoclassique est, par
bien des aspects, beaucoup plus homogène que celui des classiques,
dont nous avons vu qu'il recouvrait des disparités parfois radicales
sur des thèmes pourtant fondamentaux. Les néoclassiques, eux,
s'accordent tous sur la théorie de la valeur, sur l'individualisme méthodologique, sur le rôle privilégié
attribué aux situations d'équilibre, etc. Une certaine diversité est certes
apparue après la deuxième guerre mondiale, certains néoclassiques
tentant d'intégrer les propositions de Keynes pour élaborer une
synthèse, d'autres, au contraire, rejetant celles-ci avec vigueur. Toutefois, pour
ce qui est de ses fondements, qui furent posés pour la quasi-totalité
d'entre eux à la fin du XIXe siècle, il reste parfaitement légitime
d'étudier ce courant en tant que tel.
2. Le cadre général du raisonnement
Le courant néoclassique se distingue par son point de départ : il
s'agit de l'homo œconomicus, l'homme économique, une fiction
désignant un individu abstrait, doté d'un certain nombre de biens,
jouissant d'un pleine liberté de décision et poursuivant
rationnellement certains buts sous certaines contraintes.
L'univers des néoclassiques est un univers d'individus, dans
lequel les institutions, l'Histoire ou les classes sociales se sont
évanouis. Tout au plus peut-on dire que le cadre institutionnel n'est
là que pour se faire oublier : les institutions doivent permettre le
bon fonctionnement du marché, et c'est là leur seul rôle. L'univers des
néoclassiques est également un univers d'échanges,
et d'échanges marchands. Les individus arrivent sur le marché munis
de dotations initiales, que l'économie prend comme des
données de départ sur l'origine desquelles elle n'a pas à
s'interroger. Ils procèdent aux échanges qui leur procureront la plus
grande satisfaction (la plus grande utilité) possible, et c'est là l'objet d'étude de la
science économique. Quant à la production, elle se traite, moyennement
quelques hypothèses spécifiques, comme un cas particulier d'échange
de dotations initiales sur un marché libre.
1. Le consommateur et la demande
L'homo œconomicus par excellence est le consommateur, dont le but
est de maximiser (rationnellement) son utilité, c'est-à-dire la
satisfaction que lui procurera la détention de certains biens plutôt
que d'autres. Sa contrainte est évidemment son budget : les produits
ont un prix, et tout le problème du consommateur est de parvenir à la
plus grande satisfaction avec l'argent dont il dispose. Soucieuse de
formaliser ce point de départ et de pouvoir le traiter avec des outils
mathématiques, la théorie néoclassique décrit les préférences du
consommateurs par une fonction d'utilité.
L'existence de cette fonction signifie que
le consommateur est capable d'assigner un degré de préférence à chaque
ensemble de biens (on parle alors de paniers de biens). La théorie
néo-classique, qui au départ postulait que les consommateurs étaient
capables d'attribuer une valeur absolue à ces préférences (on parle alors, en
termes techniques, de cardinalité) en est venue à se limiter à un
classement relatif des préférences (on parle alors d'ordinalité).
Cela veut dire que la théorie néoclassique peut parvenir à des
résultats en supposant simplement que le consommateur est capable
d'ordonner, de classer, les paniers de biens selon ses préférences,
sans forcément être capable de mesurer cette utilité.
La fonction qui formalise l'utilité de chaque consommateur est très
souvent représentée par une courbe en deux dimensions (c'est-à-dire
impliquant un panier de seulement deux biens). Il faut bien comprendre
qu'il s'agit là d'une facilité de représentation, afin d'obtenir un
résultat graphiquement lisible. Mais dans la théorie, il n'y a aucune
limite au nombre de biens, donc de dimensions (ce qui en soi, ne pose
aucune difficulté particulière au traitement mathématique) !
Rappelons-nous également que consommateur
est supposé effectuer ce classement des utilités
avant de
connaître les différents prix des biens, et indépendamment de ceux-ci :
les prix ne seront fixés (et
donc connus) que plus tard.
A partir de là, on se donne un certain nombre de termes techniques
permettant de discuter des propriétés de cette fonction d'utilité.
Parmi ceux-ci, deux méritent d'être plus particulièrement définis :
- une courbe d'indifférence est une courbe qui relie les
combinaisons de biens (appelées traditionnellement « paniers »)
qui procurent la même utilité au consommateur. L'ensemble des
préférences du consommateur peut ainsi être représenté comme une
série de courbes d'indifférence représentant un niveau croissant
d'utilité : sur le schéma ci-contre, elles sont appelées U1, U2, U3, etc.
Notez bien qu'en réalité, comme pour les courbes de niveau sur une
carte, il y a une infinité de courbes d'indifférence infiniment
proches les unes des autres ; on n'en représente que quelques-unes afin que
le graphique soit lisible.
- le taux marginal de substitution (TMS) : c'est la quantité
infinitésimale de bien 2 qu'il faut ajouter pour conserver la même
utilité, si l'on retire une quantité infinitésimale de bien 1 dans
un certain panier. Graphiquement, il s'agit de la pente de la courbe
d'indifférence en un point donné.
Une fois la fonction d'indifférence établie, la
contrainte budgétaire apparaît sous la forme d'une droite (dans le cas de deux
biens) dont la pente est fonction du prix relatif des deux biens, et
dont la distance à l'origine dépend du budget disponible. Sous réserve
d'un certain nombre d'hypothèses, sur lesquelles je reviendrai dans un
instant, à un budget et à un état des prix donnés, correspond un
panier de biens et un seul (ici noté E) qui maximise la demande du consommateur.
C'est donc ce panier de bien qui sera désiré, tant qu'il n'y aura eu
aucun changement de prix. Une propriété remarquable du panier de
biens qui maximise l'utilité du consommateur pour un budget donné
(et qui se trouve donc correspondre à la situation d'équilibre du
consommateur) est que le rapport entre les différents prix des biens
est égal la valeur absolue du taux marginal de
substitution entre les biens. En français courant :
si le bien 1 coûte deux fois plus cher que le bien 2, la combinaison qui me procure
la plus grande utilité est celle où il m'indiffère d'avoir un 1 en plus et deux 2 de moins,
ou deux 2 de plus et un 1 en moins.
Tout ce cheminement repose sur un certain nombre d'hypothèses, dont
il faut souligner que certaines sont plus contraignantes qu'elles n'y
paraissent.
- la capacité des consommateurs à classer leurs utilités
indépendamment des prix n'est pas si évidente, par exemple dans le cas
de biens ostentatoires, dont le principal intérêt est précisément
d'être chers.
- surtout, le fait qu'un budget et une structure de prix donnés
aboutissent à un panier de biens et à un seul dépend beaucoup de la
forme des courbes d'indifférence. Par défaut, on représente toujours
celles-ci comme des hyperboles, c'est-à-dire des fonctions continues,
dérivables et asymptotes aux axes. D'un point de vue économique, cela
implique en réalité une série de suppositions là aussi assez contraignantes sur
les préférences des consommateurs. On ne rentrera pas ici dans la
discussion sur ces suppositions, ni sur les conséquences que leur
invalidité peut avoir sur le résultat final, mais il faut savoir que
ce point a nourri une abondante discussion de la part de ceux qui critiquaient
les constructions des néoclassiques.
- il est un bien pour lequel la polémique a été particulièrement
abondante, en raison de son statut particulier : c'est le travail, qui
est donc offert par les salariés potentiels dans un arbitrage avec leur
temps libre, et demandé par les entrepreneurs en arbitrage avec
d'autres moyens de production.
Une page de ce site est spécialement consacrée à cette question particulière,
et à la comparaison entre les approches de Keynes et des néoclassiques.
Cette parenthèse une fois refermée, passer de la demande
d'un consommateur isolé à l'ensemble de la demande des consommateurs
sur un marché donné est dès lors (presque)
un jeu d'enfants : il suffit d'agréger,
c'est-à-dire d'additionner, l'ensemble des demandes individuelles.
La fonction qui donne ainsi la demande d'un bien selon son prix s'appelle
la fonction de demande globale, et la théorie
néoclassique considère qu'elle est une fonction décroissante : plus le
prix d'un bien est élevé, moins la demande pour ce bien sera forte.
2. Le producteur et l'offre
D'un point de vue formel, la manière dont la théorie néoclassique
traite l'offre ressemble de très près à son traitement de la demande.
Là aussi, il s'agit d'agents libres (les entrepreneurs) qui vont
combiner différents biens (des machines, de la terre, du travail, etc.)
afin de réaliser une production, avec comme objectif de maximiser le
profit... ou plus exactement, de minimiser le coût.
Disons-le d'emblée, le statut de cet entrepreneur et de ce profit
pose quelques problèmes à la théorie néoclassique. Bien souvent, on
lit que l'entrepreneur n'est rémunéré ni par un salaire (ce n'est pas
un employé) ni par la rémunération des capitaux (puisque par
définition, les capitaux ne sont pas à lui et qu'il les loue sur le
marché). Par conséquent, on a bien du mal à voir dans cet entrepreneur
n'ayant ni statut social ni rémunération autre chose qu'un personnage
purement fictif.
Mais le plus remarquable est sans doute que dans cette hypothèse, le profit
d'entreprise en tant que tel n'existe pas ! Tout le revenu se dissout
en ses composantes (intérêt, rente, rémunération pour les machines qui, rappelons-le, sont
louées). L'entrepreneur ne peut donc disposer du moindre sou pour la période
suivante de production. Pire, ce sont les dividendes eux-mêmes,
pourtant la forme la plus emblématique du profit, qui disparaissent corps et biens de
la théorie néoclassique : ceux qui apportent (qui louent) le capital, que ce soit sous forme de monnaie
ou de biens matériels de production, sont rémunérés par le paiement de l'intérêt. Nulle part ce cadre
théorique ne laisse place au bénéfice en tant que tel.
Cette conséquence fâcheuse des hypothèses de
départ a conduit certains néoclassiques à intégrer un service
productif supplémentaire, celui du travail de l'entrepreneur. Dans ce
cas, une rémunération apparaît, que l'on peut qualifier de profit.
Mais la question de savoir quelle forme prend cette
rémunération dans la réalité (puisque cette rémunération n'est ni un salaire, ni un dividende) reste entière.
Surtout, elle suppose que le profit est proportionnel au travail de
direction effectué par les entrepreneurs, ce qui semble une hypothèse bien hardie. Là
encore, je ne fais que signaler l'existence d'un débat : il faudrait
bien davantage que ces quelques lignes pour en rendre compte.
Revenons-en à la démarche néo-classique. Tout comme on pouvait
associer aux consommateurs une fonction de consommation, on peut
associer aux producteurs une fonction de production. Celle-ci associe
une quantité produite avec une certaine combinaison, un certain panier de biens employé pour la
production. Et de même qu'on parlait pour le consommateur de courbes
d'indifférence, on peut parler d'isoquantes,
c'est-à-dire de courbes reliant tous les paniers de biens (les inputs)
qui aboutissent à une même quantité de production. Les
prix des différents biens une fois connus, l'entrepreneur cherchera
celle qui lui assure la plus grande production possible au moindre coût.
La situation de l'équilibre du producteur est celle où les frais occasionnés par une unité
supplémentaire de production couvrent exactement la recette procurée par la vente de cette unité
supplémentaire ; autrement dit, dans la vision néoclassique, les entrepreneurs augmentent la
production jusqu'au point où celle-ci deviendrait déficitaire (rappelons que dans ce calcul,
la rémunération des loueurs de capitaux apparaît comme un coût pour l'entrepreneur, et non
comme un profit).
Tout comme dans le cas du consommateur, on montre que
la
situation d'équilibre sera celle où le rapport entre le taux marginal
de substitution des biens de production sera égal au rapport entre
leur prix. Dans la même veine - et c'est un aspect essentiel pour la
répartition des revenus - on montre que
le prix des biens de
production s'établit à l'équilibre proportionnellement à leur
productivité marginale. Pour parler communément, chaque facteur de
production reçoit donc (coûte) l'équivalent de ce qu'il a apporté,
c'est-à-dire de la valeur qu'il a contribué à créer.
À proprement
parler, la question de la répartition, telle que se la posaient les
classiques, puis Marx, ne se pose plus dans ce cadre théorique : il n'y a plus de classes
sociales, mais uniquement des individus ; il n'y a plus de transferts
de valeur, les uns captant une partie de la valeur créée par les
autres : il reste seulement des détenteurs de services productifs
(terre, biens de production, travail) qui recevront, dans l'hypothèse
d'un marché fonctionnant correctement, très exactement l'équivalent de
ce que ces services auront apporté à la société.
Une objection traditionnelle à la théorie néoclassique consiste à
l'accuser de commettre à cet égard un raisonnement circulaire : les
prix des biens de production sont censés s'établir en fonction de leur
productivité marginale... or celle-ci ne peut être calculée qu'à
partir des prix. Une fois de plus (mais vous commencez à en avoir l'habitude),
je me contente de signaler ce débat
sans entrer dans les détails.
Toujours est-il que si l'on agrège ensuite l'offre de chaque entrereneur individuel,
on peut construire la fonction d'offre de chaque bien, qui sera naturellement
croissante par rapport au prix : plus le bien sera vendu cher, plus les producteurs seront incités
à augmenter les quantités produites.
3. Le marché et l'équilibre
La construction néoclassique aboutit ainsi à
la confrontation sur le marché entre une courbe d'offre et une courbe de demande ;
la première est croissante avec le prix, la seconde décroissante. L'équilibre sera
donc atteint (via un processus qui n'est pas si évident qu'il en a
l'air) via les variations de prix, qui égalisera l'offre et la demande. Quels qu'en
soient les détails, le bon fonctionnement de ce mécanisme exige que le
marché obéisse à certaines conditions : en l'occurrence, que la
concurrence puisse y être qualifiée de pure et parfaite.
Cela recouvre quatre points :
- homogénéité du produit : les différentes unités échangées sont
réputées être équivalentes entre elles, tant pour les différents consommateurs que pour les producteurs.
- libre entrée : aucune barrière légale ou autre n'empêche un
nouveau vendeur, ou un nouvel acheteur, de se présenter sur le
marché.
- transparence : tous les intervenants doivent être
à tout moment parfaitement informés de la situation du marché
- atomicité : les vendeurs et les acheteurs doivent être
suffisamment émiettés pour ne pas pouvoir, par leur force
individuelle ou par leur action concertée, exercer une influence sur
les prix. Par exemple, sur le marché du travail, une association
d'employeurs... ou un syndicat ouvrier, constituent des entraves à
l'atomicité du marché, et sont, à ce titre, nuisibles à son bon fonctionnement.
C'est cette dernière hypothèse qui est généralement levée lorsque
les néoclassiques étudient les marchés de concurrence dite imparfaite
(monopoles ou monopsones, oligopoles ou oligopsones, etc.)
Les néoclassiques montrent que la concurrence pure
et parfaite est nécessaire (et
suffisante) pour que le marché parvienne à un optimum (cet optimum
étant différemment défini selon les auteurs).
L'étude des conditions et des propriétés de l'équilibre sur un marché isolé
est appelé l'équilibre partiel. Certaines écoles néoclassiques, en particulier
en Angleterre avec A. Marshall, avaient particulièrement développé cette problématique. Mais celle-ci
débouche sur une autre question, plus globale, qui consiste à déterminer les conditions de l'équilibre
non seulement sur un marché pris en isolement, mais sur l'ensemble des marchés, considérés de manière
interdépendante (c'est-à-dire en considérant que ce qui se passe sur un marché influence ce qui se passe
sur les autres : par exemple, une modification de la demande d'un bien de consommation ne provoque pas
seulement une modification du prix de ce bien, mais par contrecoup un modification de la demande de tous les
biens qui servent à sa production, donc de leur prix, etc.).
Cette problématique est celle de l'équilibre général.
Elle a été étudiée dès la naissance du courant néoclassique,
en particulier par L. Walras, puis W. Pareto, et reprise au XXe siècle, notammen dans les travaux de
G. Debreu (1956).
Au final, dans la théorie néoclassique, le capitalisme présente le
visage d'une organisation économique juste et efficiente. Juste, parce
qu'elle assure à tous une rémunération équivalente à son apport à la
société. L'exploitation, la captation de richesse créée par d'autres,
n'existent qu'à titre d'accident ou d'imperfection. Efficiente, parce
que les mécanismes du marché amènent obligatoirement l'économie à son
meilleur résultat ; dans ces conditions, toute intervention
extérieure, en particulier celle de l'État, ne peut qu'être nuisible.
3. Le processus de tâtonnement
Lorsqu'on examine
de plus près comment l'offre peut être confrontée à la demande sur
un marché donné, on s'aperçoit que le respect des résultats annoncés
par les néoclassiques n'a rien d'évident. Il est essentiel en effet
qu'aucune transaction n'ait lieu à un prix de déséquilibre,
c'est-à-dire à un prix qui
n'égalise pas l'offre et la demande. Mais comment les agents
(acheteurs et vendeurs) peuvent-ils parvenir à fixer ce prix sans
procéder à aucune transaction ?
Sur ce point, ce sont les travaux
de Walras qui servent aujourd'hui encore de référence. Walras
imaginait un personnage (fictif ?), le commissaire-priseur, chargé de
fixer le prix. En début de cycle, les vendeurs et les acheteurs se
présentent sur le marché. Le commissaire annonce alors un prix, et
recueille toutes les intentions de demande et d'offre. Si celles-ci ne
coïncident pas, il fixe un nouveau prix, et l'annonce. Les agents
modifient alors leurs intentions, que le commissaire priseur
collecte à nouveau, etc. Le processus se répète jusqu'à ce que le
commissaire-priseur ait trouvé un prix où l'offre et la demande
coïncident. Il annonce alors ce dernier prix, et permet à ce moment-là aux agents
de procéder aux transactions.
Ce processus est connu sous le nom de tâtonnement walrasien.
Les hypothèses en sont lourdes : on trouvera bien peu de marchés qui
les satisfont, en particulier où aucune transaction n'est effectuée
à un prix différent du prix d'équilibre. Or, il faut rappeler que
ces hypothèses sont indispensables pour que les conclusions
annoncées par les néoclassiques soient vérifiées ; en particulier,
toutes les propriétés de l'équilibre n'ont de portée que si les
transactions s'effectuent exclusivement à cet équilibre.
On pourrait être tenté de faire une analogie entre ce
tâtonnement walrasien et la gravitation ricardienne, présentée
par ailleurs sur ce site.
Après tout, dans les deux cas, on
a un processus qui tente d'approcher une cible par corrections
successives. Pourtant, cette analogie serait une grave erreur, tant
les deux processus - et les deux raisonnements - sont éloignés l'un
de l'autre. Afin de fixer les idées sur ce point important, on peut
dresser un rapide comparatif sous forme de tableau :
|
Tâtonnement
walrasien |
Gravitation ricardienne |
Le processus se déroule sur
le... |
très court terme (une session d'achats/ventes
sur un marché) |
moyen terme (plusieurs mois, voire années) |
Les transactions s'effectuent... |
à l'équilibre exclusivement |
généralement en déséquilibre |
Les agents sont informés de l'état du marché... |
par le commissaire-priseur |
par les déséquilibres constatés (stocks, demande
non satisfaite, différentiel des taux de profit, etc.) |
La variable d'ajustement est... |
le prix exclusivement |
le prix sur le court terme, les quantités via
les capacités de production et les taux de profit sur le moyen
terme |
Le processus équilibre... |
des achats/ventes d'agents se présentant avec
des dotations initiales |
les capacités de production des différents
secteurs, via les prix et les taux de profit |