Quelques romans qui parlent d'économie
Lire des romans pour comprendre l'analyse économique ? Quelle idée saugrenue ! Pourtant, il suffit de réfléchir un peu pour s'apercevoir qu'à la base de tout raisonnement en sciences sociales, il y a des faits ; et ces faits, en économie, ce ne sont pas seulement des courbes de production de charbon, des
statistiques de chômage ou d'emploi, ou des graphiques de productivité, mais d'abord et avant tout des situations humaines. La liste qui suit n'est pas une bibliographie exhaustive, bien évidemment, mais une petite sélection personnelle de titres qui, je l'espère, vous aideront à mettre un peu de chair et de sang autour des chiffres et des raisonnements abstraits. Et de toutes façons, ce sont tous d'excellents livres !
Les piliers de la Terre (Ken Follett)
L'action de ce best-seller se déroule en Angleterre, au XIIIe siècle. Et
de l'action, il y en a : des gentils très gentils, des méchants vraiment
affreux, des courses-poursuites, des trahisons, des complots, bref, tous
les ingrédients du genre. Mais derrière les poncifs, il y a une
peinture sociale. Par-delà les combats d'épée, ce livre décrit une société qui
se transforme, avec une nouvelle classe sociale qui émerge lentement au
milieu du monde féodal : la bourgeoisie.
Magellan (Stefan Zweig)
Un court roman écrit par un très grand auteur. En quelques pages très
vivantes, et au travers de la biographie d'un des grands explorateurs du
XVIe siècle, Stefan Zweig décrit l'extension des circuits commerciaux,
la recherche de la part de la bourgeoisie européenne de l'or et des
épices. Avec Magellan et ses marins, on découvre les hommes qui
ont tracé la voie d'une « mondialisation » qui a eu lieu il y a cinq
siècles.
Ces Messieurs de Saint-Malo (Bernard
Simiot)
Nous sommes au temps de la monarchie absolue, en France : l'or afflue
des colonies espagnoles d'Amérique latine, et attire les convoitises. La piraterie
étant plus rentable que la pêche à la morue, des marins pêcheurs se
lancent à l'assaut des galions étrangers, avec la bénédiction du roi.
Cette fresque très vivante dépeint la société d'Ancien Régime, et les
relations entre noblesse, État et bourgeoisie. Le mercantilisme vu par
en bas, en quelque sorte.
Germinal (Emile Zola)
Un classique de la littérature française, autour d'une grève de mineurs
sous le Second empire. Une peinture du mouvement ouvrier et de ses
tendances de l'époque, bien sûr, mais aussi du progrès de la grande
industrie, et de la concentration.
La curée (Emile Zola)
Un autre « Rougon-Macquart » moins connu, mais qui mérite d'être lu pour
sa description des spéculations immobilières autour de la reconstruction
de Paris effectuée par le préfet Haussmann, sous Napoléon III.
Le Bois qui pleure (Vicki Baum)
Un gros et magnifique roman autour de l'histoire du « bois qui pleure »,
c'est-à-dire du caoutchouc, depuis son exploitation dans les forêts
amazoniennes jusqu'à l'invention du caoutchouc synthétique et à la
deuxième guerre mondiale. Chaque chapitre plante un décor et une époque
différente : les plantations hollandaises d'Indonésie, l'ascension de
Charles Goodyear, les usines de pneumatiques aux États-unis et les grandes grèves des années trente.
Rosa Blanca (Bernard Traven)
Un faux roman, et une vraie démonstration d'économie politique.
L'histoire d'une entreprise pétrolière américaine du début du siècle -
et de son directeur - qui veut s'emparer d'un gisement au Mexique, en
délogeant l'exploitation agricole qui se trouve dessus. Un style tout en
sobriété et en humour froid, pour comprendre les mécanismes économiques,
politiques et humains de ce qu'on n'appelait pas encore la
mondialisation.
La révolte des pendus (Bernard Traven)
Au Mexique, au début du siècle, la terrible situation des paysans
travaillant comme de semi esclaves dans les grandes plantations
produisant pour l'exportation. On y voit la violence quotidienne des
rapports sociaux, mais aussi la marche en avant de la révolution qui
sera victorieuse en 1911 (celle de Pancho Villa et Zapata).
Les raisins de la colère (John Steinbeck)
Un immense classique de la littérature, et un témoignage poignant sur la
situation des paysans américains chassés de leurs terres par la faillite
et se précipitant vers la Californie. Le roman par excellence sur la crise
de 1929. Incontournable.
Le ventre de New York (Thomas Kelly)
Une description, sous forme de roman policier, des années Reagan. Autour
des chantiers du bâtiment, affairistes, syndicalistes et mafieux
s'affrontent dans une lutte où tous les coups sont permis. Une lumière
crue sur des réalités, en particulier celle du quotidien des salariés,
qui n'intéressent pas si souvent la littérature.
L'équilibre du monde (Rohinton Mistry)
Un roman bouleversant, épais mais se dévorant d'une traite, autour de
l'Inde contemporaine. Le destin de plusieurs personnages se croise, et
éclaire la réalité quotidienne de la vie dans une grande métropole du
Tiers-Monde.
La promesse de Shangai (Stéphane Fière)
Stéphane Fière vit depuis de nombreuses années en Chine, et il a confectionné
là un roman qui nous raconte les péripéties d'un mingong, ces paysans déracinés qui
sont de véritables "sans-paiers" dans leur propre pays, et qui travaillent dans des
conditions épouvantables à la construction du nouveau Shangaï ou dans les lieux interlopes
pour étrangers fortunés. Une peinture drôle et féroce, pleine d'anecdotes prises sur le vif,
et l'envers du décor du "miracle" chinois - ainsi que de la place qu'y occupent les
occidentaux vivant dans le pays.